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27 mai 2011 5 27 /05 /mai /2011 19:31

Qu'est-ce-qui fait une vie? De nombreuses réponses peuvent surgir afin de circonscrire ce problème ontologico-politique. Nous voudrions adopter une méthode en négatif, à savoir ne pas répondre à la qestion directement mais plutôt la retourner pour interroger ce qui fait d'une vie qu'elle est exclue, qu'elle ne peut être reconnue comme vie véritable. Il s'agira ici d'apporter simplement une petite pierre à cet édifice gigantesque. 

En partant d'un cas, malheureusement fréquent, celui des SDF, le projet ou l'esquisse de projet est ici de fournir les éléments pour une pensée de l'exclusion. Qu'est-ce-qui fait du SDF qu'il n'est pas reconnu comme un être "à part entière"? Pourquoi cette cristallisation des tensions politiques sur ces individus qui vivent et s'éteignent en silence?

Un premier élément de réponse évident serait de dire que l'exclusion vient de l'homme "normal". La dialectique de la normalité et de l'exclusion tourne à plein dans les situations de précarité extrême. Reste à savoir alors comment le citoyen lambda exclut le SDF du champ socio-politique ou plutôt inclut ce dernier aux marges de ce champ. 

On pourrait croire, et nous l'avons longtemps cru, que l'exclusion passe par le regard. Elle passe par là évidemment mais pas ultimement. Le regard peut avoir une fonction double, entre exclusion et pathos. Exclusion pour ceux qui considèrent le SDF comme un fainéant qui ne mérite pas de recevoir la moindre pièce parce que, s'il est là, c'est que, d'une manière ou d'une autre, il l'a mérité. Pathos pour ceux qui éprouvent une certaine pitié à la vue de ce malheureux gisant sur le trotoire. Mais cette pitié peut se retourner en amour de soi dont il faut ce méfier : celui qui éprouve de l'empathie à l'égard de l'exclu se prouve en même temps à lui-même qu'il est une belle âme et ainsi la pitié n'est autre qu'une auto-satisfaction de sa propre grandeur et générosité de coeur. Dans les deux cas pourtant, il y a encore du lien, il est impossible de ne pas prendre position vis-à-vis du SDF, ce qui le conserve, bon gré mal gré, au sein des enjeux sociaux et qui le préserve un minimum de l'exclusion totale. Pourtant le SDF est un exclu, ceci ne fait aucun doute.

Si ce n'est pas le regard qui est le moyen d'exclusion, c'est ultimement, pensons-nous, le toucher. Le SDF est celui qui est exclu, non pas seulement du champ politico-social, mais surtout du champ charnel. Il est rare que ces personnes forment une communauté, vivent avec d'autres, soient mariées... Quand bien même cela arrive, elles restent entre exclus et la chair qu'ils partagent est une chair marginale, toujours marquée du sceau de l'abject. Qui donc, parmi les personnes intégrées, a déjà serré la main d'un SDF, lui a déjà fait la bise...? Je pense qu'il s'agit d'une triste majorité. Le corps marginale est un corps toujours suspect, un corps sûrement bourré de maladie, un corps intouchable, finalement un corps sans chair. Si la chair est le résultat de l'incarnation, processus d'émergence de soi dans son rapport aux autres, le SDF possède bien un corps mais, dans certains cas, pas de chair et est, en cela, un être sacrifié, un être dont l'achèvement est limité par le jeu de régulation sociale. 

La sentence qui s'abat sur les exclus est la suivante : "Tu es exclu parce que je ne peux pas et personne ne peut te toucher."

L'exclusion, ultimement, n'est pas un problème pécunier ou politique mais charnelle.

 

 

Pour aller plus loin : voir l'importance de ce que Didier Anzieu appelle le Moi-Peau dans le processus de formation du sujet. 

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